06 décembre 2009

Je pensais que mon coeur échappé du naufrage

Je pensais que mon coeur échappé du naufrage
Dût être maintenant un peu plus avisé,
Mais quoi! plus on le trompe et moins il est rusé,
Plus il vieillit au monde et moins il devient sage.

Revoyant la mer calme et le ciel sans nuage
Il se remit au vent qui l´avait maitrisé:
Hélas, il te faudrait, pauvre coeur abusé,
Avoir de la fortune autant que de courage!

Combien as-tu de fois tourné l´oeil vers le port,
Étant loin d´espérance et proche de la mort,
Réclamant le hauts dieux touché de repentance?

Mais te voyant sauvé des flots audacieux,
Tu te ris de Forage et des vents furieux,
Car du péril passé morte est la souverance.

Siméon-Guillaume de la ROQUE (1551-1611)

08 janvier 2009

La mort des pauvres

C'est la Mort qui console, hélas ! et qui fait vivre ;
C'est le but de la vie, et c'est le seul espoir
Qui, comme un élixir, nous monte et nous enivre,
Et nous donne le coeur de marcher jusqu'au soir ;

A travers la tempête, et la neige, et le givre,
C'est la clarté vibrante à notre horizon noir ;
C'est l'auberge fameuse inscrite sur le livre,
Où l'on pourra manger, et dormir, et s'asseoir ;

C'est un Ange qui tient dans ses doigts magnétiques
Le sommeil et le don des rêves extatiques,
Et qui refait le lit des gens pauvres et nus ;

C'est la gloire des Dieux, c'est le grenier mystique,
C'est la bourse du pauvre et sa patrie antique,
C'est le portique ouvert sur les Cieux inconnus !

Charles BAUDELAIRE (1821-1867) (Recueil : Les fleurs du mal)

06 janvier 2009

Bel Arbre triomphant...

Bel Arbre triomphant, victorieux trophée,
Qui pourroit dignement ta loüange entonner ?
Au seul ozer je sens ma Muse s'étonner,
Et ma voix au gosier de frayeur estouffée.

Soy donq, ô digne Croix, toy-mesme ton Orphée,
Et te plaise aujourd'huy piteuse me donner
Qu'à tousjours de ton Nom soit ma gloire étoffée,
Que mon penser ne puisse onques t'abandonner.

Et fay qu'à ce grand jour, qui te verra brillante,
Dans les plaines d'azur, ta lumière drillante
N'épouvante mon ame, aux pieds de ce vaincueur.

Les marquez à ton coing n'eurent jadis à craindre.
Je ne craindras non plus, s'il te plait de t'empreindre,
Par le burin d'amour, sur le roc de mon coeur.

Jean de LA CEPPÈDE (1550-1623) (Recueil : Théorèmes)

04 janvier 2009

Je songe aux ciels marins ...


Je songe aux ciels marins, à leurs couchants si doux,
A l'écumante horreur d'une mer démontée,
Au pêcheur dans sa barque, aux crabes dans leurs trous,
A Néere aux yeux bleus, à Glaucus, à Protée.

Je songe au vagabond supputant son chemin,
Au vieillard sur le seuil de la cabane ancienne,
Au bûcheron courbé, sa cognée à la main,
A la ville, à ses bruits, à mon âme, à sa peine.

Jean MORÉAS (1856-1910) (Recueil : Les Stances)

03 janvier 2009

Le soleil sur les pierres

Sur les rocs, comme au ciel, le monarque du feu
Se donne, ici, libre carrière.
L'oeil cuit, caché sous la paupière,
Aux fulgurants reflets du grisâtre et du bleu.

Fourmillements d'éclairs de miroirs, de rapières
Et de diamants... il en pleut !
L'astre brûle : sa roue épand sa chaleur fière,
Autant du tour que du moyeu.

Ni nuage, ni vent, ni brume, ni poussière !
Il s'étale, entre comme il veut,
Doublé, répercuté partout, et rien ne peut
Faire un écran à sa lumière.

Maurice ROLLINAT (1846-1903) (Recueil : Paysages et paysans)

01 janvier 2009

Bon jour, bon an et bonne vie

Bon jour, bon an et bonne vie,
Bien et honneur sans villanie
Doint Dieu a ma doulce maistresse,
Qui m'a donné de sa largesse
La fleur de ne m'oubliez mie.

De très bon vouloir la mercie,
Nuyt et jour pour elle je prie,
Et de dire mon cuer ne cesse :
Bon jour, bon an.

Bein doulcement si s'umilie,
Et luy vient de grant courtoysie
Quant a joye si me radresse,
Qui suis prisonnier en tristesse.
N'esse bien raison que je dye :
Bon jour, bon an ?

Jehan REGNIER (1392-1468)