30 mars 2008

Le printemps


Te voilà, rire du Printemps !
Les thyrses des lilas fleurissent.
Les amantes qui te chérissent
Délivrent leurs cheveux flottants.

Sous les rayons d'or éclatants
Les anciens lierres se flétrissent.
Te voilà, rire du Printemps !
Les thyrses de lilas fleurissent.

Couchons-nous au bord des étangs,
Que nos maux amers se guérissent !
Mille espoirs fabuleux nourrissent
Nos coeurs gonflés et palpitants.
Te voilà, rire du Printemps !

Théodore de BANVILLE (1823-1891) (Recueil : Les cariatides)

28 mars 2008

Quand tes yeux conquerans estonné je regarde


Quand tes yeux conquerans estonné je regarde,
J'y veoy dedans à clair tout mon espoir escript ;
J'y veoy dedans Amour luy mesme qui me rit,
Et m'y monstre, mignard, le bon heur qu'il me garde.

Mais, quand de te parler par fois je me hazarde
C'est lors que mon espoir desseiché se tarit ;
Et d'avouer jamais ton oeil, qui me nourrit,
D'un seul mot de faveur, cruelle, tu n'as garde.

Si tes yeux sont pour moy, or voy ce que je dis :
Ce sont ceux là, sans plus, à qui je me rendis.
Mon Dieu, quelle querelle en toi mesme se dresse,

Si ta bouche et tes yeux se veulent desmentir ?
Mieux vaut, mon doux tourment, mieux vaut les despartir,
Et que je prenne au mot de tes yeux la promesse.

Etienne de LA BOETIE (1530-1563) (Recueil : Vingt neuf sonnetz)

27 mars 2008

Angoisse


Je ne viens pas ce soir vaincre ton corps, ô bête
En qui vont les péchés d'un peuple, ni creuser
Dans tes cheveux impurs une triste tempête
Sous l'incurable ennui que verse mon baiser :

Je demande à ton lit le lourd sommeil sans songes
Planant sous les rideaux inconnus du remords,
Et que tu peux goûter après tes noirs mensonges,
Toi qui sur le néant en sais plus que les morts.

Car le Vice, rongeant ma native noblesse
M'a comme toi marqué de sa stérilité,
Mais tandis que ton sein de pierre est habité

Par un coeur que la dent d'aucun crime ne blesse,
Je fuis, pâle, défait, hanté par mon linceul,
Ayant peur de mourir lorsque je couche seul.

Stéphane MALLARME (1842-1898)

26 mars 2008

Le ciel est bien cruel de faire les uns naître


Le ciel est bien cruel de faire les uns naître
Monarques souverains, princes et empereurs,
Les autres artisans, vignerons, laboureurs,
Et bergers qui aux champs mènent les brebis paître.

Car il advient souvent que celui qui est maître
Mériterait tenir le rang des serviteurs,
Dont quelques-uns qui vont se tuant de labeurs
Pour leur gentil esprit mériteraient mieux être.

Il est vrai qu'à la fin tout meurt également.
Le monde est un théâtre, où fortuitement
Chacun comme il lui vient joue son personnage.

Celui-ci fait le roi, celui-là fait le gueux ;
Mais moi, je fais toujours à mon dam et dommage
Le poète indigent et l'amant langoureux.

Jean GODARD (1564-1630)

25 mars 2008

Il y a des moments où les femmes sont fleurs


Il y a des moments où les femmes sont fleurs ;
On n'a pas de respect pour ces fraîches corolles...
Je suis un papillon qui fuit des choses folles,
Et c'est dans un baiser suprême que je meurs.

Mais il y a parfois de mauvaises rumeurs ;
Je t'ai baisé le bec, oiseau bleu qui t'envoles,
J'ai bouché mon oreille aux funèbres paroles ;
Mais, Muse, j'ai fléchi sous tes regards charmeurs.

Je paie avec mon sang véritable, je paie
Et ne recevrai pas, je le sais, de monnaie,
Et l'on me laissera mourir au pied du mur.

Ayant traversé tout, inondation, flamme,
Je ne me plaindrai pas, délicieuse femme,
Ni du passé, ni du présent, ni du futur !

Charles CROS (1842-1888) (Recueil : Le collier de griffes)

24 mars 2008

Tristesse


J'ai perdu ma force et ma vie,
Et mes amis et ma gaieté;
J'ai perdu jusqu'à la fierté
Qui faisait croire à mon génie.

Quand j'ai connu la Vérité,
J'ai cru que c'était une amie ;
Quand je l'ai comprise et sentie,
J'en étais déjà dégoûté.

Et pourtant elle est éternelle,
Et ceux qui se sont passés d'elle
Ici-bas ont tout ignoré.

Dieu parle, il faut qu'on lui réponde.
Le seul bien qui me reste au monde
Est d'avoir quelquefois pleuré.

Alfred de MUSSET (1810-1857) (Recueil : Poésies nouvelles)

23 mars 2008

Printemps oublié


Ce beau printemps qui vient de naître
A peine goûté va finir ;
Nul de nous n'en fera connaître
La grâce aux peuples à venir.

Nous n'osons plus parler des roses :
Quand nous les chantons, on en rit ;
Car des plus adorables choses
Le culte est si vieux qu'il périt.

Les premiers amants de la terre
Ont célébré Mai sans retour,
Et les derniers doivent se taire,
Plus nouveaux que leur propre amour.

Rien de cette saison fragile
Ne sera sauvé dans nos vers,
Et les cytises de Virgile
Ont embaumé tout l'univers.

Ah ! frustrés par les anciens hommes,
Nous sentons le regret jaloux
Qu'ils aient été ce que nous sommes,
Qu'ils aient eu nos coeurs avant nous.

René-François SULLY PRUDHOMME (1839-1907) (Recueil : Stances et poèmes)

22 mars 2008

Parfum exotique


Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne,
Je respire l'odeur de ton sein chaleureux,
Je vois se dérouler des rivages heureux
Qu'éblouissent les feux d'un soleil monotone ;

Une île paresseuse où la nature donne
Des arbres singuliers et des fruits savoureux ;
Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,
Et des femmes dont l'oeil par sa franchise étonne.

Guidé par ton odeur vers de charmants climats,
Je vois un port rempli de voiles et de mâts
Encor tout fatigués par la vague marine,

Pendant que le parfum des verts tamariniers,
Qui circule dans l'air et m'enfle la narine,
Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.

Charles BAUDELAIRE (1821-1867) (Recueil : Les fleurs du mal)

21 mars 2008

La force du temps et de l'amour


Le temps, maître de tout, ternit ce paysage,
Que Flore embellissait des marques de ses pas ;
Et montrant des défauts, où l'on vit des appas,
Il fait un triste lieu de ce plaisant bocage.

Il réduit une ville en un désert sauvage,
Il met comme il lui plaît les empires à bas ;
Il change les esprits ainsi que les États,
Et fait un furieux du peuple le plus sage.

Il étouffe la gloire, il éteint le renom,
Il plonge dans l'oubli le plus illustre nom,
Il comble de malheurs la plus heureuse vie ;

Il détruit la nature, il éclipse le jour ;
Bref, il peut effacer les beautés de Silvie,
Mais il ne peut jamais effacer mon amour.

Guillaume COLLETET (1598-1659)

17 mars 2008

Au bord de la mer


La lune de ses mains distraites
A laissé choir, du haut de l'air,
Son grand éventail à paillettes
Sur le bleu tapis de la mer.

Pour le ravoir elle se penche
Et tend son beau bras argenté ;
Mais l'éventail fuit sa main blanche,
Par le flot qui passe emporté

Au gouffre amer pour te le rendre,
Lune, j'irais bien me jeter,
Si tu voulais du ciel descendre,
Au ciel si je pouvais monter !

Théophile GAUTIER (1811-1872) (Recueil : Espana)

15 mars 2008

Le coucher du soleil


Quand le Soleil du soir parcourt les Tuileries
Et jette l'incendie aux vitres du château,
Je suis la Grande Allée et ses deux pièces d'eau
Tout plongé dans mes rêveries !

Et de là, mes amis, c'est un coup d'oeil fort beau
De voir, lorsqu'à l'entour la nuit répand son voile,
Le coucher du soleil, - riche et mouvant tableau,
Encadré dans l'arc de l'Etoile !

Gérard de NERVAL (1808-1855) (Recueil : Odelettes)

13 mars 2008

Stances sur des fleurs

Belles fleurs que la lune en croissant fait paraître,
Vous vous rapportez fort avec les autres fleurs,
Car l'excès des humeurs comme vous les fait naître,
Et vous tombez aussi par l'excès des chaleurs.

Comme les fleurs nous font aimer le jardinage,
Nous tirant par les yeux d'un fort enchantement,
On dit que vous pouvez faire aimer davantage
Si trompé l'on vous peut savourer seulement.

Quelques fleurs, ce dit-on, apportent allégeance
Aux cerveaux affaiblis par étude lassés,
Après un long travail vous avez la puissance
De donner du repos aux maris harassés.

Oui, vous êtes du tout aux autres fleurs semblables,
Car le fruit peu à peu par elles se produit,
Et lorsque l'on vous voit, ce sont signes probables
Que celles qui vous ont sont capables de fruit.

Toutefois les jardins fleuris de telle sorte
S'aiment tant plus qu'ils sont émaillés de couleurs,
Mais lorsque vous venez, le jardin qui vous porte
Ne peut s'aimer qu'après qu'il a perdu ses fleurs.

Etienne DURAND (1586-1618)

08 mars 2008

Si je la voy pres d'un ruisseau coulant

Si je la voy pres d'un ruisseau coulant,
Elle me semble une belle Naiade :
Elle me semble une belle Driade,
Si je la voy l'herbe des prez foulant.

Si je la voy par les hautz lieus allant,
Je pense voir une vraye Oreade :
Et la compare à quelque Hamadriade,
Lors qu'au jardin ses beautez va çellant.

Que diray plus ? certes je ne me trompe :
Car s'elle avoit l'arc, la trousse, et la trompe,
On la viendroit pour Diane choysir.

Diane, à qui les Nymphes font hommage :
Mais qui n'a point un si plaisant visage
Que ceste Vierge, où niche mon desir.

Jean de LA GESSEE (1551-1596) (Recueil : La Marguerite)

06 mars 2008

Quand cette belle fleur premièrement je vis

Quand cette belle fleur premièrement je vis,
Qui notre âge de fer de ses vertus redore,
Bien que sa grand' valeur je ne connusse encore,
Si fus-je en la voyant de merveille ravi.

Depuis, ayant le cours de fortune suivi,
Où le Tibre tortu de jaune se colore,
Et voyant ces grands dieux, que l'ignorance adore,
Ignorants, vicieux et méchants à l'envi :

Alors, Forget, alors cette erreur ancienne,
Qui n'avait bien connu ta princesse et la mienne,
La venant à revoir, se dessilla les yeux :

Alors je m'aperçus qu'ignorant son mérite
J'avais, sans la connaître, admiré Marguerite,
Comme, sans les connaître, on admire les cieux.

Joachim DU BELLAY (1522-1560) (Recueil : Les Regrets)

02 mars 2008

Regarde-le

Regarde-le, mais pas longtemps :
Un regard suffira, sois sûre,
Pour lui pardonner la blessure
Qui fit languir mes doux printemps.
Regarde-le, mais pas longtemps !

S'il parle, écoute un peu sa voix :
Je ne veux pas trop t'y contraindre ;
Je sais combien elle est à craindre,
Ne l'entendît-on qu'une fois :
S'il parle, écoute un peu sa voix !

Tais-toi, s'il demande à me voir.
J'ai pu fuir sa volage ivresse ;
Mais me cacher à sa tendresse,
Dieu n'en donne pas le pouvoir :
Tais-toi, s'il demande à me voir !

Si je l'accusais devant toi,
Appelle un moment son image ;
Avec le feu de son langage,
Défends-le par pitié pour moi,
Si je l'accusais devant toi !

Marceline DESBORDES-VALMORE (1786-1859) (Recueil : Fragments)

01 mars 2008

Il est dans l'île lointaine

Il est dans l'île lointaine
Où dort la péri,
Sur le bord d'une fontaine,
Un rosier fleuri

Qui s'orne toute l'année
Des plus belles fleurs.
Il est une coupe ornée
De mille couleurs,

Dont le sein de marbre voile
Les flots d'un doux vin.
Il est une blanche étoile
Au rayon divin,

Qui verse de blanches larmes
Au coeur des lys blancs.
Il est un seuil, plein de charmes
Pour mes pas tremblants,

Où je vais poser ma tête
Pour me reposer.
Il est un jardin en fête
Plus doux qu'un baiser,

Qui le soir, au clair de lune,
Tressaille embaumé,
C'est ton front, ta tresse brune,
Ta lèvre, ô Fatmé !

Théodore de BANVILLE (1823-1891) (Recueil : Odelettes)