23 janvier 2007

Les arbres

Ô vous qui, dans la paix et la grâce fleuris,
Animez et les champs et vos forêts natales,
Enfants silencieux des races végétales,
Beaux arbres, de rosée et de soleil nourris,

La Volupté par qui toute race animée
Est conçue et se dresse à la clarté du jour,
La mère aux flancs divins de qui sortit l'Amour,
Exhale aussi sur vous son haleine embaumée.

Fils des fleurs, vous naissez comme nous du Désir,
Et le Désir, aux jours sacrés des fleurs écloses,
Sait rassembler votre âme éparse dans les choses,
Votre âme qui se cherche et ne se peut saisir.

Et, tout enveloppés dans la sourde matière
Au limon paternel retenus par les pieds,
Vers la vie aspirant, vous la multipliez,
Sans achever de naître en votre vie entière.

Anatole FRANCE (1844-1924) (Recueil : Les poèmes dorés)

11 janvier 2007

Va ton chemin sans plus t´inquiéter


Va ton chemin sans plus t'inquiéter !
La route est droite et tu n'as qu'à monter,
Portant d'ailleurs le seul trésor qui vaille,
Et l'arme unique au cas d'une bataille,
La pauvreté d'esprit et Dieu pour toi.

Surtout il faut garder toute espérance.
Qu'importe un peu de nuit et de souffrance ?
La route est bonne et la mort est au bout.
Oui, garde toute espérance surtout.
La mort là-bas te dresse un lit de joie.

Et fais-toi doux de toute la douceur.
La vie est laide, encore c'est ta soeur.
Simple, gravis la côte et même chante,
Pour écarter la prudence méchante
Dont la voix basse est pour tenter ta foi.

Simple comme un enfant, gravis la côte,
Humble comme un pécheur qui hait la faute,
Chante, et même sois gai, pour défier
L'ennui que l'ennemi peut t'envoyer
Afin que tu t'endormes sur la voie.

Ris du vieux piège et du vieux séducteur,
Puisque la Paix est là, sur la hauteur,
Qui luit parmi des fanfares de gloire.
Monte, ravi, dans la nuit blanche et noire.
Déjà l'Ange Gardien étend sur toi

Joyeusement des ailes de victoire.

Paul VERLAINE (1844-1896) (Recueil : Sagesse)