28 novembre 2008

Tous ces oiseaux qui sous la nuit obscure


Tous ces oiseaux qui sous la nuit obscure
D'un triste vol se plaignent lentement
Ne sont témoins du doux commencement
De mon amour sainte, loyale et pure.

Les clairs ruisseaux, les bois et la verdure
Des prés fleuris d'un beau bigarrement
Sont seuls témoins du bien et du tourment
Que pour aimer également j'endure.

La nuit n'eût su dans son sein recéler
Mon feu luisant, qui peut étinceler
Parmi les cieux, aux enfers et sous l'onde.

Mon amour passe au travers de la nuit,
Et plein d'un feu qui bluettant s'enfuit,
Aide au soleil à redorer le monde.

Flaminio de BIRAGUE (1550-?)

09 novembre 2008

Sonnet à mon ami


J'avais toujours rêvé le bonheur en ménage,
Comme un port où le cœur, trop longtemps agité,
Vient trouver, à la fin d'un long pèlerinage,
Un dernier jour de calme et de sérénité.

Une femme modeste, à peu près de mon âge
Et deux petits enfants jouant à son côté ;
Un cercle peu nombreux d'amis du voisinage,
Et de joyeux propos dans les beaux soirs d'été.

J'abandonnais l'amour à la jeunesse ardente
Je voulais une amie, une âme confidente,
Où cacher mes chagrins, qu'elle seule aurait lus ;

Le ciel m'a donné plus que je n'osais prétendre ;
L'amitié, par le temps, a pris un nom plus tendre,
Et l'amour arriva qu'on ne l'attendait plus.

Félix ARVERS (1806-1850) (Recueil : Mes heures perdues)

09 octobre 2008

Prix Nobel de Littérature 2008

L'écrivain français Jean-Marie Gustave Le Clézio a reçu, jeudi 9 octobre, le prix Nobel de la littérature 2008.

23 septembre 2008

En marchant le matin


Puisque là-bas s'entr'ouvre une porte vermeille,
Puisque l'aube blanchit le bord de l'horizon,
Pareille au serviteur qui le premier s'éveille
Et, sa lampe à la main, marche dans la maison,

Puisqu'un blême rayon argente la fontaine,
Puisqu'à travers les bois l'immense firmament
Jette une lueur pâle et calme que la plaine
Regarde vaguement,

Puisque le point du jour sur les monts vient d'éclore,
Je m'en vais dans les champs tristes, vivants et doux ;
Je voudrais bien savoir où l'on trouve une aurore
Pour cette sombre nuit que nous avons en nous !

Que fait l'homme ? La vie est-elle une aventure ?
Que verra-t-on après et de l'autre côté ?
Tout frissonne. Est-ce à moi que tu parles, nature,
Dans cette obscurité ?

Victor HUGO (1802-1885) (Recueil : Les quatre vents de l'esprit)

19 septembre 2008

Le chemin de l'amour


Amour, mon cher Amour, je te sais près de moi
Avec ton beau visage.
Si tu changes de nom, d'accent, de coeur et d'âge,
Ton visage du moins ne me trompera pas.
Les yeux de ton visage, Amour, ont près de moi
La clarté patiente des étoiles.
De la nuit, de la mer, des îles sans escales,
Je ne crains rien si tu m'as reconnue.
Mon Amour, de bien loin, pour toi, je suis venue
Peut-être. Et nous irons Dieu sait où maintenant ?
Depuis quand cherchais-tu mon ombre évanouie ?
Quand t'avais-je perdu ? Dans quelle vie ?
Et qu'oserait le ciel contre nous maintenant ?

Sabine SICAUD (1913-1928) (Recueil : Chemins)

12 septembre 2008

Jeanne fait son entrée


Jeanne parle ; elle dit des choses qu'elle ignore ;
Elle envoie à la mer qui gronde, au bois sonore,
A la nuée, aux fleurs, aux nids, au firmament,
A l'immense nature un doux gazouillement,
Tout un discours, profond peut-être, qu'elle achève
Par un sourire où flotte une âme, où tremble un rêve,
Murmure indistinct, vague, obscur, confus, brouillé.
Dieu, le bon vieux grand-père, écoute émerveillé.

Victor HUGO (1802-1885) (Recueil : L'art d'être grand-père)

05 septembre 2008

Silence !...


Le silence descend en nous,
Tes yeux mi-voilés sont plus doux ;
Laisse mon coeur sur tes genoux.

Sous ta chevelure épandue
De ta robe un peu descendue
Sort une blanche épaule nue.

La parole a des notes d'or ;
Le silence est plus doux encor,
Quand les coeurs sont pleins jusqu'au bord.

Il est des soirs d'amour subtil,
Des soirs où l'âme, semble-t-il,
Ne tient qu'à peine par un fil...

Il est des heures d'agonie
Où l'on rêve la mort bénie
Au long d'une étreinte infinie.

La lampe douce se consume ;
L'âme des roses nous parfume.
Le Temps bat sa petite enclume.

Oh ! s'en aller sans nul retour,
Oh ! s'en aller avant le jour,
Les mains toutes pleines d'amour !

Oh ! s'en aller sans violence,
S'évanouir sans qu'on y pense
D'une suprême défaillance...

Silence !... Silence !... Silence !...

Albert SAMAIN (1858-1900) (Recueil : Au jardin de l'infante)

04 septembre 2008

Ô doux regards, ô yeux pleins de beauté


Ô doux regards, ô yeux pleins de beauté,
Petits jardins pleins de fleurs amoureuses
Où sont d'Amour les flèches dangereuses,
Tant à vous voir mon oeil s'est arrêté !

Ô coeur félon, ô rude cruauté,
Tant tu me tiens de façons rigoureuses,
Tant j'ai coulé de larmes langoureuses,
Sentant l'ardeur de mon coeur tourmenté !

Doncques, mes yeux, tant de plaisir avez,
Tant de bons tours par ces yeux recevez ;
Mais toi, mon coeur, plus les vois s'y complaire.

Plus tu languis, plus en as de souci,
Or devinez si je suis aise aussi,
Sentant mon oeil être à mon coeur contraire.

Louise LABÉ (1524-1566) (Recueil : Sonnets)

03 septembre 2008

Midi au village


Nul troupeau n'erre ni ne broute ;
Le berger s'allonge à l'écart ;
La poussière dort sur la route,
Le charretier sur le brancard.

Le forgeron dort dans la forge ;
Le maçon s'étend sur un banc ;
Le boucher ronfle à pleine gorge,
Les bras rouges encor de sang.

La guêpe rôde au bord des jattes ;
Les ramiers couvrent les pignons ;
Et, la gueule entre les deux pattes,
Le dogue a des rêves grognons.

Les lavandières babillardes
Se taisent. Non loin du lavoir,
En plein azur, sèchent les hardes
D'une blancheur blessante à voir.

La férule à peine surveille
Les écoliers inattentifs ;
Le murmure épars d'une abeille
Se mêle aux alphabets plaintifs...

Un vent chaud traîne ses écharpes
Sur les grands blés lourds de sommeil,
Et les mouches se font des harpes
Avec des rayons de soleil.

Immobiles devant les portes
Sur la pierre des seuils étroits,
Les aïeules semblent des mortes
Avec leurs quenouilles aux doigts.

C'est alors que de la fenêtre
S'entendent, tout en parlant bas,
Plus libres qu'à minuit peut-être,
Les amants, qui ne dorment pas.

René-François SULLY PRUDHOMME (1839-1907) (Recueil : Les solitudes)

02 septembre 2008

C'est un grand mal se sentir offensé


C'est un grand mal se sentir offensé,
Et ne s'oser, ou savoir à qui plaindre :
C'est un grand mal, voire trop insensé,
Que d'aspirer, où l'on ne peut atteindre :
C'est un grand mal que de son coeur contraindre,
Outre son gré, et à sujétion :
C'est un grand mal qu'ardente affection,
Sans espérer de son mal allégeance :
Mais c'est grand bien, quand à sa passion
Un doux languir sert d'honnête vengeance.

(Rymes XLVII)

Pernette du GUILLET (1520-1545) (Recueil : Rymes)

01 septembre 2008

Le rossignol et le paon


L'aimable et tendre Philomèle,
Voyant commencer les beaux jours,
Racontait à l'écho fidèle
Et ses malheurs et ses amours.
Le plus beau paon du voisinage,
Maître et sultan de ce canton,
Elevant la tête et le ton,
Vint interrompre son ramage :
C'est bien à toi, chantre ennuyeux,
Avec un si triste plumage,
Et ce long bec, et ces gros yeux,
De vouloir charmer ce bocage !
A la beauté seule il va bien
D'oser célébrer la tendresse :
De quel droit chantes-tu sans cesse ?
Moi, qui suis beau, je ne dis rien.
Pardon, répondit Philomèle :
Il est vrai, je ne suis pas belle ;
Et si je chante dans ce bois,
Je n'ai de titre que ma voix.
Mais vous, dont la noble arrogance
M'ordonne de parler plus bas,
Vous vous taisez par impuissance,
Et n'avez que vos seuls appas.
Ils doivent éblouir sans doute ;
Est-ce assez pour se faire aimer ?
Allez, puisqu'amour n'y voit goutte,
C'est l'oreille qu'il faut charmer.

Jean-Pierre Claris de FLORIAN (1755-1794) (Recueil : Fables)

30 août 2008

Une fleur passagère, une vaine peintur


Une fleur passagère, une vaine peinture,
Faisaient de mes beaux jours les plus douces clartés,
Et dans un labyrinthe, errant de tous côtés,
Je faisais de mon sort la douteuse aventure.

Sans aucun soin du temps, ni de la sépulture,
La fureur m'emportait parmi les vanités,
Et toujours soupirant après mille beautés,
J'écoutais de l'Amour l'agréable imposture.

C'est encore aujourd'hui l'état où je me vois.
Je crains que mon péché ne dure autant que moi,
Ou qu'il ne soit borné que par mon impuissance.

Mille maux, qui des biens n'ont rien que les couleurs,
Interrompent le cours de ma reconnaissance,
Et font que mes plaisirs augmentent mes douleurs.

Jean Ogier de GOMBAUD (1588-1666) (Recueil : Sonnets chrétiens)

29 août 2008

Je t'aime, avec ton oeil candide


Je t'aime, avec ton oeil candide et ton air mâle,
Ton fichu de siamoise et ton cou brun de hâle,
Avec ton rire et ta gaîté,
Entre la Liberté, reine aux fières prunelles,
Et la Fraternité, doux ange ouvrant ses ailes,
Ma paysanne Egalité !

Victor HUGO (1802-1885) (Recueil : Dernière gerbe)

28 août 2008

Vers la plage rosine où le Soleil s'esleve...


Vers la plage rosine où le Soleil s'esleve
Loin d'Acre et de Sion le chemin d'un Sabbath,
Vis à vis du Calvaire un autre mont s'esleve
Tousjours vert des honneurs du Minervé combat.

Ces fueilleux arbrisseaux ennemis du debat,
Ce mont qui dans Cedron ses racines abreve,
Où l'humble solitude aux soucis donne treve,
Estoient de nostre Amant le coustumier esbat.

Il y avoit au pied de ce mont une terre
Ditte Gethsemani, et dedans un parterre
Où le Sauveur s'en va loin du peuple et du bruit.

Ô voyage, ô village, ô jardin, ô montaigne
Si devot maintenant le Sauveur j'accompagne
Permetés qu'à ce coup je gouste vostre fruit.

Jean de LA CEPPÈDE (1550-1623) (Recueil : Théorèmes)

27 août 2008

Les pierres


Par monts, par vaux, près des rivières,
Les frimas font à volonté
Des blocs d'ombre et d'humidité
Avec le gisement des pierres.

Sous le vert froid des houx, des lierres,
Sous la ronce maigre, - à côté
Du chardon dévioletté
Cela dort dans les fondrières,
Plein d'horreur et d'hostilité,
Donnant aux brandes familières
Une lugubre étrangeté.

Mais sitôt qu'on voit les chaumières
Refumer bleu dans la clarté,
C'est le soleil ressuscité
Qui refait couleurs et lumières,
De la vie et de la gaieté
Avec le gisement des pierres.

Maurice ROLLINAT (1846-1903) (Recueil : Paysages et paysans)

25 août 2008

J'ai dit à mon désir : pense à te bien guider


J'ai dit à mon désir : pense à te bien guider,
Rien trop bas, ou trop haut, ne te fasse distraire.
Il ne m'écouta point, mais jeune et volontaire,
Par un nouveau sentier se voulut hasarder.

Je vis le ciel sur lui mille orages darder,
Je le vis traversé de flamme ardente et claire,
Se plaindre en trébuchant de son vol téméraire,
Que mon sage conseil n'avait su retarder.

Après ton précipice, ô désir misérable !
Je t'ai fait dedans l'onde une tombe honorable
De ces pleurs que mes yeux font couler jour et nuit,

Et l'espérance aussi ta soeur faible et dolente,
Après maints longs détours, se voit changée en plante,
Qui reverdit assez, mais n'a jamais de fruit.

Philippe DESPORTES (1546-1606) (Recueil : Cléonice)

24 août 2008

Le soir, dans une vallée


Déjà le soir de sa vapeur bleuâtre
Enveloppait les champs silencieux ;
Par le nuage étaient voilés les cieux :
Je m'avançais vers la pierre grisâtre.
Du haut d'un mont une onde rugissant
S'élançait : sous de larges sycomores,
Dans ce désert d'un calme menaçant,
Roulaient des flots agités et sonores.
Le noir torrent, redoublant de vigueur,
Entrait fougueux dans la forêt obscure
De ces sapins, au port plein de langueur,
Qui, négligés comme dans la douleur,
Laissent tomber leur longue chevelure,
De branche en branche errant à l'aventure.
Se regardant dans un silence affreux,
Des rochers nus s'élevaient, ténébreux ;
Leur front aride et leurs cimes sauvages
Voyaient glisser et fumer les nuages :
Leurs longs sommets, en prisme partagés,
Etaient des eaux et des mousses rongés.
Des liserons, d'humides capillaires,
Couvraient les flancs de ces monts solitaires ;
Plus tristement des lierres encor
Se suspendaient aux rocs inaccessibles ;
Et contrasté, teint de couleurs paisibles,
Le jonc, couvert de ses papillons d'or,
Riait au vent sur des sites terribles.
Mais tout s'efface, et surpris de la nuit,
Couché parmi des bruyères laineuses,
Sur le courant des ondes orageuses
Je vais pencher mon front chargé d'ennui.

François-René de CHATEAUBRIAND (1768-1848) (Recueil : Tableaux de la nature)

23 août 2008

Madame, je vous donne un oiseau pour étrenne


Sonnet

Madame, je vous donne un oiseau pour étrenne
Duquel on ne saurait estimer la valeur ;
S'il vous vient quelque ennui, maladie ou douleur,
Il vous rendra soudain à votre aise et bien saine.

Il n'est mal d'estomac, colique ni migraine
Qu'il ne puisse guérir, mais sur tout il a l'heur
Que contre l'accident de la pâle couleur
Il porte avecque soi la drogue souveraine.

Une dame le vit dans ma main, l'autre jour
Qui me dit que c'était un perroquet d'amour,
Et dès lors m'en offrit bon nombre de monnoie

Des autres perroquets il diffère pourtant :
Car eux fuient la cage, et lui, il l'aime tant
Qu'il n'y est jamais mis qu'il n'en pleure de joie.

Isaac de BENSERADE (1613-1691)

22 août 2008

A mes amis


Rions, chantons, ô mes amis,
Occupons-nous à ne rien faire,
Laissons murmurer le vulgaire,
Le plaisir est toujours permis.
Que notre existence légère
S'évanouisse dans les jeux.
Vivons pour nous, soyons heureux,
N'importe de quelle manière.
Un jour il faudra nous courber
Sous la main du temps qui nous presse ;
Mais jouissons dans la jeunesse,
Et dérobons à la vieillesse
Tout ce qu'on peut lui dérober.

Evariste de PARNY (1753-1814)

21 août 2008

Le silence régnait sur la terre et sur l'onde


Le silence régnait sur la terre et sur l'onde,
L'air devenait serein et l'Olympe vermeil,
Et l'amoureux Zéphir affranchi du sommeil
Ressuscitait les fleurs d'une haleine féconde.

L'Aurore déployait l'or de sa tresse blonde
Et semait de rubis le chemin du Soleil ;
Enfin ce dieu venait au plus grand appareil
Qu'il soit jamais venu pour éclairer le monde,

Quand la jeune Philis au visage riant,
Sortant de son palais plus clair que l'Orient,
Fit voir une lumière et plus vive et plus belle.

Sacré flambeau du jour, n'en soyez point jaloux !
Vous parûtes alors aussi peu devant elle
Que les feux de la nuit avaient fait devant vous.

Claude MALLEVILLE (1596-1647)

20 août 2008

Ah ! que je suis fâché ! maudit soit le réveil


Ah ! que je suis fâché ! maudit soit le réveil
Qui me prive du bien dont j'avais jouissance
Cette nuit en songeant. Las ! depuis ma naissance,
Je n'ai point eu de bien à celui-là pareil.

Il me semblait qu'Amour, ennemi de tout deuil,
Une moisson de fleurs versait en abondance,
Dessus nos corps unis d'une ferme alliance.
Ô songe délectable, ô gracieux sommeil !

Que d'amour, que d'appas, que de douces blandices,
Que de ris, que d'ébats, que de molles délices,
Que de naissantes morts, que de jeux amoureux !

Que de baisers confits en sucre, en ambroisie !
De ces plaisirs, dormant, j'avais l'âme saisie.
Fut-il jamais en songe un amant si heureux !

Isaac HABERT (1560-1615)

19 août 2008

Une douceur splendide et sombre


Une douceur splendide et sombre
Flotte sous le ciel étoilé
On dirait que là-haut, dans l'ombre
Un paradis s'est écroulé.

Et c'est comme l'odeur ardente,
L'odeur fiévreuse dans l'air noir,
D'une chevelure d'amante
Dénouée à travers le soir.

Tout l'espace languit de fièvres.
Du fond des coeurs mystérieux
S'en viennent mourir sur les lèvres
Des mots qui font fermer les yeux.

Et de ma bouche où s'évapore
Le parfum des bonheurs derniers,
Et de mon coeur vibrant encore
S'élèvent de vagues pitiés

Pour tous ceux-là qui, sur la terre,
Par un tel soir tendant les bras,
N'ont point dans leur coeur solitaire
Un nom à sangloter tout bas.

Albert SAMAIN (1858-1900) (Recueil : Le chariot d'or)

18 août 2008

Me voici seul enfin ...


Me voici seul enfin, tel que je devais l'être :
Les jours sont révolus.
Ces dévouements couverts que tu faisais paraître
Ne me surprendront plus.

Le mal que tu m'as fait et ton affreux délire
Et ses pièges maudits,
Depuis longtemps déjà les cordes de la lyre
Me les avaient prédits.

Au vent de ton malheur tu n'es en quelque sorte
Qu'un fétu ballotté ;
Mais j'accuse surtout celui qui se comporte
Contre sa volonté.

Jean MORÉAS (1856-1910) (Recueil : Les Stances)

17 août 2008

Que j'aime ces forêts !...


Que j'aime ces forêts ! que j'y vis doucement !
Qu'en un siècle troublé j'y dors en assurance !
Qu'au déclin de mes ans j'y rêve heureusement !
Et que j'y fais des vers qui plairont à la France !

Depuis que le village est toutes mes amours,
Je remplis mon papier de tant de belles choses,
Qu'on verra les savants après mes derniers jours,
Honorer mon tombeau de larmes et de roses.

Ils diront qu'Apollon m'a souvent visité,
Et que, pour ce désert, les Muses ont quitté
Les fleurs de leur montagne, et l'argent de leur onde.

Ils diront qu'éloigné de la pompe des rois,
Je voulus me cacher sous l'ombrage des bois
Pour montrer mon esprit à tous les yeux du monde.

François MAYNARD (1582-1646)

16 août 2008

Je songe à ce village ...


Je songe à ce village assis au bord des bois,
Aux bois silencieux que novembre dépouille,
Aux studieuses nuits, - et près du feu je vois
Une vieille accroupie et filant sa quenouille.

Toi que j'ai rencontrée à tous les carrefours
Où tu guidais mes pas, mélancolique et tendre,
Lune, je te verrai te mirant dans le cours
D'une belle rivière et qui commence à prendre.

Jean MORÉAS (1856-1910) (Recueil : Les Stances)

15 août 2008

Fleur d'art


Oui - Quel art jaloux dans Ta fine histoire !
Quels bibelots chers ! - Un bout de sonnet,
Un coeur gravé dans ta manière noire,
Des traits de cana à coups de stylet.

Tout fier mon coeur porte à la boutonnière
Que tu lui taillas, un petit bouquet
D'immortelle rouge - Encor ta manière
C'est du sang en fleur. Souvenir coquet.

Allons, pas de pleurs à notre mémoire !
- C'est la mâle-mort de l'amour ici
Foin du myosotis, vieux sachet d'armoire !

Double femme, va !... Qu'un âne te braie !
Si tu n'étais fausse, eh serais-tu vraie ?...
L'amour est un duel : - Bien touché ! Merci.

Tristan CORBIÈRE (1845-1875) (Recueil : Les Amours jaunes)

12 août 2008

Madame, ce matin je vous offre une fleur


Madame, ce matin je vous offre une fleur
Qui du sang de Narcis a pris son origine :
Pour vous y comparer Amour vous la destine,
Et vous vient consacrer son tige et sa couleur.

Vous semblez un Narcis de grâce et de rigueur,
Il avait comme vous l'apparence divine,
De sa vive beauté l'onde fut la ruine,
Et je crains qu'un miroir cause votre malheur !

De moi je suis Écho dolente forestière,
Qui va cherchant partout votre grâce meurtrière
Pour trouver du relâche à ma captivité,

Mais vous voyant toujours plus fière et inhumaine,
Je désire sans plus que je sois la fontaine
Où les dieux puniront votre sévérité.

Siméon-Guillaume de LA ROQUE (1551-1611) (Recueil : Amours de Phyllis)

10 août 2008

L'esté grillant, et le chaud Sirien


L'esté grillant, et le chaud Sirien,
Perçant les flancs de la terre qui bée :
Non ceste Fleur qui m'a l'ame enflambée,
Mesme à l'envy du gaillard Cyprien.

Elle est sa guide en ce val terrien,
Son flair combat l'odoreuse Sabée
Et dans le coeur cest amour m'est tombée
Par qui j'ay tout, et sans qui je n'ay rien.

Pluye, ni vent, ni chaleur, ni froidure,
N'esffaceront son teint, ni sa verdure :
Je l'affranchis du trespas, et du temps.

Mais las ! tandis que sa gloire eternelle
Revit en moy, chetif ! je meurs en elle :
Et fondz ainsi que la nege au Printemps.

Jean de LA GESSEE (1551-1596) (Recueil : La Marguerite)

08 août 2008

Je te donne ces vers...


Je te donne ces vers afin que si mon nom
Aborde heureusement aux époques lointaines,
Et fait rêver un soir les cervelles humaines,
Vaisseau favorisé par un grand aquilon,

Ta mémoire, pareille aux fables incertaines,
Fatigue le lecteur ainsi qu'un tympanon,
Et par un fraternel et mystique chaînon
Reste comme pendue à mes rimes hautaines ;

Etre maudit à qui, de l'abîme profond
Jusqu'au plus haut du ciel, rien, hors moi, ne répond !
- Ô toi qui, comme une ombre à la trace éphémère,

Foules d'un pied léger et d'un regard serein
Les stupides mortels qui t'ont jugée amère,
Statue aux yeux de jais, grand ange au front d'airain !

Charles BAUDELAIRE (1821-1867) (Recueil : Les fleurs du mal)

13 juillet 2008

Bohémiens en voyage


La tribu prophétique aux prunelles ardentes
Hier s'est mise en route, emportant ses petits
Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits
Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes.

Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes
Le long des chariots où les leurs sont blottis,
Promenant sur le ciel des yeux appesantis
Par le morne regret des chimères absentes.

Du fond de son réduit sablonneux le grillon,
Les regardant passer, redouble sa chanson ;
Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,

Fait couler le rocher et fleurir le désert
Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert
L'empire familier des ténèbres futures.

Charles BAUDELAIRE (1821-1867) (Recueil : Les fleurs du mal)

10 juillet 2008

Que je repose en toi...


Que je repose en toi, mon beau logis d'amour,
Dans la nuit de ton coeur sur mon être scellée.
Tu seras mon tombeau. Oubliant les détours,
Ombre, je vais descendre, en ton ombre effacée.

Tu seras mon tombeau. Enfin je vais dormir,
Prise dans le linceul que me fera ton âme,
Goûtant, morte sacrée, au sein du souvenir,
L'amour intérieur que ma vie réclame.

Grave, mon coeur descend en ton coeur qui m'enserre,
Me voile, me chérit, me recueille à jamais,
Et, bleu soleil dont le baiser perce la terre,
Ton oeil étincelant luit sur mes yeux fermés.

Cécile SAUVAGE (1883-1927) (Recueil : Primevère)

04 juillet 2008

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage


Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province, et beaucoup davantage ?

Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine :

Plus mon Loir gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la doulceur angevine.

Joachim DU BELLAY (1522-1560) (Recueil : Les Regrets)

18 juin 2008

Jusqu'au ciel d'azur gris le pré léger s'élève


Jusqu'au ciel d'azur gris le pré léger s'élève
Comme une route fraîche inconnue aux vivants ;
La mouillure de l'herbe et de la jeune sève

Répand dans l'air rêveur son haleine d'argent.
Sur les bords de ce pré le bouleau se balance
Avec le merisier profond dans ses rameaux
Où des moineaux dorés sautillent en silence
Comme aux pures saisons d'un univers nouveau.

Je te pénètre, ô pré que longent des collines
Où la fougère étend son feuillage en réseau.
Et j'écoute parler la voix molle et divine
De la calme nature au milieu des oiseaux.

Cécile SAUVAGE (1883-1927) (Recueil : Mélancolie)

12 juin 2008

Le Labyrinthe


J'erre au fond d'un savant et cruel labyrinthe...
Je n'ai pour mon salut qu'un douloureux orgueil.
Voici que vient la Nuit aux cheveux d'hyacinthe,
Et je m'égare au fond du cruel labyrinthe,
Ô Maîtresse qui fus ma ruine et mon deuil.

Mon amour hypocrite et ma haine cynique
Sont deux spectres qui vont, ivres de désespoir ;
Leurs lèvres ont ce pli que le rictus complique :
Mon amour hypocrite et ma haine cynique
Sont deux spectres damnés qui rôdent dans le soir.

J'erre au fond d'un savant et cruel labyrinthe,
Et mes pieds, las d'errer, s'éloignent de ton seuil.
Sur mon front brûle encor la fièvre mal éteinte...
Dans l'ambiguïté grise du Labyrinthe,
J'emporte mon remords, ma ruine et mon deuil...

Renée VIVIEN (1877-1909) (Recueil : La Vénus des aveugles)

01 juin 2008

Coeur endurci plus que la roche bise


Coeur endurci plus que la roche bise,
Vent aspirant pire que nord ou bise,
De grief refus tant orgueilleulx et fier,
N'est il moyen de te mollifier
Par tel façon que grace en fust acquise ?

O que les Dieulx ont mal ta place quise
De te loger en maison si exquise,
Pour en vertus tant te glorifier,
Coeur endurci !

Considéré que, sans coup de main mise,
Je fus navré d'une oeillade transmise
De ton logis, qui me vint défier,
Il te plaira mon mal pacifier
En me donnant grace que j'ay requise,
Coeur endurci.

Jean MAROT (1463-1526)

29 mai 2008

Si c'est dessus les eaux que la terre est pressée


Si c'est dessus les eaux que la terre est pressée,
Comment se soutient-elle encor si fermement,
Et si c'est sur les vents qu'elle a son fondement,
Qui la peut conserver sans être renversée ?

Ces justes contrepoids qui nous l'ont balancée
Ne penchent-ils jamais d'un divers branlement ?
Et qui nous fait solide ainsi cet élément,
Qui trouve autour de lui l'inconstance amassée ?

Il est ainsi, ce corps se va tout soulevant
Sans jamais s'ébranler parmi l'onde et le vent,
Miracle non pareil ! si mon amour extrême,

Voyant ces maux coulants, soufflants de tous côtés,
Ne trouvait tous les jours par exemple de même
Sa constance au milieu de ces légèretés.

Jean de SPONDE (1557-1595)

26 mai 2008

Me voici ! c'est moi ! Rochers, plages


Me voici ! c'est moi ! Rochers, plages,
Frais ruisseaux sous l'herbe échappés,
Brises qui tout bas aux feuillages
Dites des mots entrecoupés ;

Nids qu'emplit un tendre murmure,
Branche où l'oiseau vient se poser ;
Gouttes d'eau de la grotte obscure
Qui faites le bruit d'un baiser ;

Champ où l'on entend la romance
Du rossignol sombre et secret ;
Monts où le lac profond commence
L'hymne qu'achève la forêt !

Ouvrez-vous, prés où tout soupire ;
Ouvre-toi, bois sonore et doux ;
Celui dont l'âme est une lyre
Vient chanter dans l'ombre avec vous.

Victor Hugo (1802-1885) (Recueil : Toute la lyre)

25 mai 2008

La pêche


Le pêcheur, vidant ses filets,
Voit les poissons d'or de la Loire
Glacés d'argent sur leur nageoire
Et mieux vêtus que des varlets.

Teints encor des ardents reflets
Du soleil et du flot de moire,
Le pêcheur, vidant ses filets,
Voit les poissons d'or de la Loire.

Les beaux captifs, admirez-les !
Ils brillent sur la terre noire,
Glorifiant de sa victoire,
Jaunes, pourprés et violets,
Le pêcheur vidant ses filets.

Théodore de BANVILLE (1823-1891) (Recueil : Les cariatides)

24 mai 2008

Harmonie du soir


Voici venir les temps ou vibrant sur sa tige
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir
Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir
Valse mélancolique et langoureux vertige

Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir
Le violon frémit comme un coeur qu'on afflige
Valse mélancolique et langoureux vertige
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir

Le violon frémit comme un coeur qu'on afflige
Un coeur tendre qui hait le néant vaste et noir
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige

Un coeur tendre qui hait le néant vaste et noir
Du passé lumineux recueille tout vestige
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige
Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir

Charles BAUDELAIRE (1821-1867)

23 mai 2008

Le château de l'espérance


Ta pâle chevelure ondoie
Parmi les parfums de ta peau
Comme folâtre un blanc drapeau
Dont la soie au soleil blondoie.

Las de battre dans les sanglots
L'air d'un tambour que l'eau défonce,
Mon coeur à son passé renonce
Et, déroulant ta tresse en flots,

Marche à l'assaut, monte, - ou roule ivre
Par des marais de sang, afin
De planter ce drapeau d'or fin
Sur ce sombre château de cuivre

- Où, larmoyant de nonchaloir,
L'Espérance rebrousse et lisse
Sans qu'un astre pâle jaillisse
La Nuit noire comme un chat noir.

Stéphane MALLARME (1842-1898) (Recueil : Autres poèmes)

21 mai 2008

Ciel brouillé


On dirait ton regard d'une vapeur couvert ;
Ton oeil mystérieux (est-il bleu, gris ou vert ?)
Alternativement tendre, rêveur, cruel,
Réfléchit l'indolence et la pâleur du ciel.

Tu rappelles ces jours blancs, tièdes et voilés,
Qui font se fondre en pleurs les coeurs ensorcelés,
Quand, agités d'un mal inconnu qui les tord,
Les nerfs trop éveillés raillent l'esprit qui dort.

Tu ressembles parfois à ces beaux horizons
Qu'allument les soleils des brumeuses saisons...
Comme tu resplendis, paysage mouillé
Qu'enflamment les rayons tombant d'un ciel brouillé !

Ô femme dangereuse, ô séduisants climats !
Adorerai-je aussi ta neige et vos frimas,
Et saurai-je tirer de l'implacable hiver
Des plaisirs plus aigus que la glace et le fer ?

Charles BAUDELAIRE (1821-1867) (Recueil : Les fleurs du mal)

20 mai 2008

Le temps est bref et ma volonté grande


Le temps est bref et ma volonté grande,
Qui ne me veut permettre le penser ;
Ma passion me contraint et commande,
Selon le temps, le parler compenser.
Jusques ici j'ai craint de m'avancer,
En attendant un temps de long loisir,
Mais il n'est pas en moi de le choisir ;
Par quoi du peu faut que mon profit fasse :
En peu de mots vous dirai mon désir,
C'est que je n'ai volonté ni plaisir
Que d'être sûr de votre bonne grâce.

Marguerite de NAVARRE (1492-1549)

19 mai 2008

Je voudrais bien être vent quelquefois


Je voudrais bien être vent quelquefois
Pour me jouer aux cheveux d'Uranie,
Puis être poudre aussitôt je voudrais,
Quand elle tombe en sa gorge polie.

Soudain encor je me souhaiterais
Pouvoir changer en cette toile unie
Qui va couvrant ce beau corps que je dois
Nommer ma mort aussitôt que ma vie.

Ces changements plairaient à mon désir,
Mais pour avoir encor plus de plaisir,
Je voudrais bien puce être devenue,

Je baiserais ce corps que j'aime tant,
Et la forêt à mes yeux inconnue
Me servirait de retraite à l'instant.

Etienne DURAND (1586-1618)

15 mai 2008

D'une fontaine


Cette fontaine est froide, et son eau doux-coulante,
A la couleur d'argent, semble parler d'Amour ;
Un herbage mollet reverdit tout autour,
Et les aunes font ombre à la chaleur brûlante.

Le fueillage obeyt à Zephyr qui l'évante,
Souspirant, amoureux, en ce plaisant séjour ;
Le soleil clair de flame est au milieu du jour,
Et la terre se fend de l'ardeur violante.

Passant, par le travail du long chemin lassé,
Brûlé de la chaleur et de la soif pressé,
Arreste en cette place où ton bonheur te maine ;

L'agréable repos ton corps delassera,
L'ombrage et le vent frais ton ardeur chassera,
Et ta soif se perdra dans l'eau de la fontaine.

Philippe DESPORTES (1546-1606) (Recueil : Bergeries)

13 mai 2008

Pèlerinages


En souvenir je m'aventure
Vers les jours passés où j'aimais,
Pour visiter la sépulture
Des rêves que mon coeur a faits.

Cependant qu'on vieillit sans cesse,
Les amours ont toujours vingt ans,
Jeunes de la fixe jeunesse
Des enfants qu'on pleure longtemps.

Je soulève un peu les paupières
De ces chers et douloureux morts ;
Leurs yeux sont froids comme des pierres
Avec des regards toujours forts.

Leur grâce m'attire et m'oppresse ;
En dépit des ans révolus
Je leur ai gardé ma tendresse ;
Ils ne me reconnaîtraient plus :

J'ai changé d'âme et de visage ;
Ils redoutent l'adieu moqueur
Que font les hommes de mon âge
Aux premiers rêves de leur coeur,

Et moi, plein de pitié, j'hésite,
J'ai peur qu'en se posant sur eux
Mon baiser ne les ressuscite :
Ils ont été trop malheureux.

René-François SULLY PRUDHOMME (1839-1907) (Recueil : Les vaines tendresses)

12 mai 2008

Superbes monuments de l'orgueil des humains


Superbes monuments de l'orgueil des humains,
Pyramides, tombeaux dont la vaine structure
A témoigné que l'art, par l'adresse des mains
Et l'assidu travail, peut vaincre la nature :

Vieux palais ruinés, chefs-d'oeuvre des Romains
Et les derniers efforts de leur architecture,
Colisée, où souvent ces peuples inhumains
De s'entr'assassiner se donnaient tablature :

Par l'injure des ans vous êtes abolis,
Ou du moins, la plupart, vous êtes démolis ;
Il n'est point de ciment que le temps ne dissoude.

Si vos marbres si durs ont senti son pouvoir,
Dois-je trouver mauvais qu'un méchant pourpoint noir,
Qui m'a duré deux ans, soit percé par le coude ?

Paul SCARRON (1610-1660)

10 mai 2008

Bien loin d'ici


C'est ici la case sacrée
Où cette fille très parée,
Tranquille et toujours préparée,

D'une main éventant ses seins,
Et son coude dans les coussins,
Ecoute pleurer les bassins ;

C'est la chambre de Dorothée.
- La brise et l'eau chantent au loin
Leur chanson de sanglots heurtée
Pour bercer cette enfant gâtée.

Du haut en bas, avec grand soin,
Sa peau délicate est frottée
D'huile odorante et de benjoin.
- Des fleurs se pâment dans un coin.

Charles BAUDELAIRE (1821-1867) (Recueil : Les fleurs du mal)

08 mai 2008

Ce n'est pas drôle de mourrir


Ce n'est pas drôle de mourir
Et d'aimer tant de choses
La nuit bleue et les matins roses
Le verger plein de glaïeuls roses
L'amour prompt
Les fruits lents à mûrir...
Enfance, coeur léger.

Paul-Jean TOULET (1867-1920)

06 mai 2008

L'entrevue au ruisseau


L'eau nous sépare, écoute bien :
Si tu fais un pas, tu n'as rien.

Voici ma plus belle ceinture,
Elle embaume encor de mes fleurs.
Prends les parfums et les couleurs,
Prends tout... je m'en vais sans parure.

L'eau nous sépare, écoute bien :
Si tu fais un pas, tu n'as rien.

Sais-tu pourquoi je viens moi-même
Jeter mon ruban sur ton sein ?
C'est que tu parlais d'un larcin,
Et l'on veut donner quand on aime.

L'eau nous sépare, écoute bien ;
Si tu fais un pas, tu n'as rien.

Adieu ! ta réponse est à craindre,
Je n'ai pas le temps d'écouter ;
Mais quand je n'ose m'arrêter,
N'est-ce donc que toi qu'il faut plaindre ?

Ce que j'ai dit, retiens-le bien :
Pour aujourd'hui, je n'ai plus rien !

Marceline DESBORDES-VALMORE (1786-1859) (Recueil : Poésies inédites)

03 mai 2008

Mai


Le mai le joli mai en barque sur le Rhin
Des dames regardaient du haut de la montagne
Vous êtes si jolies mais la barque s'éloigne
Qui donc a fait pleurer les saules riverains

Or des vergers fleuris se figeaient en arrière
Les pétales tombés des cerisiers de mai
Sont les ongles de celle que j'ai tant aimée
Les pétales flétris sont comme ses paupières

Sur le chemin du bord du fleuve lentement
Un ours un singe un chien menés par des tziganes
Suivaient une roulotte traînée par un âne
Tandis que s'éloignait dans les vignes rhénanes
Sur un fifre lointain un air de régiment

Le mai le joli mai a paré les ruines
De lierre de vigne vierge et de rosiers
Le vent du Rhin secoue sur le bord les osiers
Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes

Guillaume APOLLINAIRE (1880-1918)