01 novembre 2006
Elegies au Christ
Elegies au Christ
Que je vous crains ! Que je vous aime !
Que mon coeur est triste et navré !
Seigneur ! Suis-je un peu de vous-même
tombé de votre diadême,
ou suis-je un pauvre ange égaré ?
Seigneur ! Parlez-moi, je vous prie !
Je suis seule sans votre voix.
Oiseau sans ailes, sans patrie,
sur la terre dure et flétrie
je marche et je tombe à la fois !
Fleur d' orage et de pleurs mouillée
exhalant sa mourante odeur,
au pied de la croix effeuillée
seigneur, ma vie agenouillée
veut monter à votre grandeur !
Voyez ! Je suis comme une feuille
qui roule et tourbillonne au vent,
un rêve las qui se recueille,
un lin desséché que l' on cueille
et que l' on déchire souvent.
Sans savoir, l' indolence extrême,
si l' on a marché sur mon coeur,
brisé par une main qu' on aime,
seigneur ! Un cheveu de nous-même,
est si vivant à la douleur !
Au chemin déjà solitaire
où deux êtres unis marchaient,
les voilà séparés... mystère !
On a jeté bien de la terre
entre deux coeurs qui se cherchaient.
Ils ne savent plus se comprendre.
Qu' ils parlent haut, qu' ils parlent bas,
l' écho de leur voix n' est plus tendre :
seigneur ! On sait donc mieux s' entendre
alors qu' on ne se parle pas ?
L' un, dans les sillons de la plaine,
suit son veuvage douloureux ;
l' autre, de toute son haleine,
de son jour, de son aile pleine,
monte ! Monte ! Et se croit heureux !
Voyez ! à deux pas de ma vie,
sa vie est étrangère à moi,
pauvre ombre qu' il a tant suivie,
tant aimée et tant asservie !
Qui mis tant de foi dans sa foi !
Moi, sous l' austère mélodie
dont vous m' envoyez la rumeur,
mon âme soupire agrandie,
mon corps se fond en maladie
et mon souffle altéré se meurt.
Comme l' enfant qu' un rien ramène,
l' enfant dont le coeur est à jour,
faites-moi plier sous ma chaîne,
et désapprenez-moi la haine,
plus triste encore que l' amour !
Une fois dans la nuit profonde
j' ai vu passer votre lueur :
comme alors, enfermée au monde,
pour parler à qui me réponde
laissez-moi vous voir dans mon coeur !
Rendez-moi, Jésus que j' adore,
un songe où je m' abandonnais !
Dans nos champs que la faim dévore,
j' expiais... j' attendais encore ;
mais, j' étais riche et je donnais.
Je donnais et, surprise sainte,
on ne raillait plus ma pitié ;
des bras du pauvre j' étais ceinte,
et l' on ne mêlait plus l' absinthe
aux larmes de mon amitié !
Marceline DESBORDES-VALMORE (1786 - 1859)
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire