30 août 2008

Une fleur passagère, une vaine peintur


Une fleur passagère, une vaine peinture,
Faisaient de mes beaux jours les plus douces clartés,
Et dans un labyrinthe, errant de tous côtés,
Je faisais de mon sort la douteuse aventure.

Sans aucun soin du temps, ni de la sépulture,
La fureur m'emportait parmi les vanités,
Et toujours soupirant après mille beautés,
J'écoutais de l'Amour l'agréable imposture.

C'est encore aujourd'hui l'état où je me vois.
Je crains que mon péché ne dure autant que moi,
Ou qu'il ne soit borné que par mon impuissance.

Mille maux, qui des biens n'ont rien que les couleurs,
Interrompent le cours de ma reconnaissance,
Et font que mes plaisirs augmentent mes douleurs.

Jean Ogier de GOMBAUD (1588-1666) (Recueil : Sonnets chrétiens)

29 août 2008

Je t'aime, avec ton oeil candide


Je t'aime, avec ton oeil candide et ton air mâle,
Ton fichu de siamoise et ton cou brun de hâle,
Avec ton rire et ta gaîté,
Entre la Liberté, reine aux fières prunelles,
Et la Fraternité, doux ange ouvrant ses ailes,
Ma paysanne Egalité !

Victor HUGO (1802-1885) (Recueil : Dernière gerbe)

28 août 2008

Vers la plage rosine où le Soleil s'esleve...


Vers la plage rosine où le Soleil s'esleve
Loin d'Acre et de Sion le chemin d'un Sabbath,
Vis à vis du Calvaire un autre mont s'esleve
Tousjours vert des honneurs du Minervé combat.

Ces fueilleux arbrisseaux ennemis du debat,
Ce mont qui dans Cedron ses racines abreve,
Où l'humble solitude aux soucis donne treve,
Estoient de nostre Amant le coustumier esbat.

Il y avoit au pied de ce mont une terre
Ditte Gethsemani, et dedans un parterre
Où le Sauveur s'en va loin du peuple et du bruit.

Ô voyage, ô village, ô jardin, ô montaigne
Si devot maintenant le Sauveur j'accompagne
Permetés qu'à ce coup je gouste vostre fruit.

Jean de LA CEPPÈDE (1550-1623) (Recueil : Théorèmes)

27 août 2008

Les pierres


Par monts, par vaux, près des rivières,
Les frimas font à volonté
Des blocs d'ombre et d'humidité
Avec le gisement des pierres.

Sous le vert froid des houx, des lierres,
Sous la ronce maigre, - à côté
Du chardon dévioletté
Cela dort dans les fondrières,
Plein d'horreur et d'hostilité,
Donnant aux brandes familières
Une lugubre étrangeté.

Mais sitôt qu'on voit les chaumières
Refumer bleu dans la clarté,
C'est le soleil ressuscité
Qui refait couleurs et lumières,
De la vie et de la gaieté
Avec le gisement des pierres.

Maurice ROLLINAT (1846-1903) (Recueil : Paysages et paysans)

25 août 2008

J'ai dit à mon désir : pense à te bien guider


J'ai dit à mon désir : pense à te bien guider,
Rien trop bas, ou trop haut, ne te fasse distraire.
Il ne m'écouta point, mais jeune et volontaire,
Par un nouveau sentier se voulut hasarder.

Je vis le ciel sur lui mille orages darder,
Je le vis traversé de flamme ardente et claire,
Se plaindre en trébuchant de son vol téméraire,
Que mon sage conseil n'avait su retarder.

Après ton précipice, ô désir misérable !
Je t'ai fait dedans l'onde une tombe honorable
De ces pleurs que mes yeux font couler jour et nuit,

Et l'espérance aussi ta soeur faible et dolente,
Après maints longs détours, se voit changée en plante,
Qui reverdit assez, mais n'a jamais de fruit.

Philippe DESPORTES (1546-1606) (Recueil : Cléonice)

24 août 2008

Le soir, dans une vallée


Déjà le soir de sa vapeur bleuâtre
Enveloppait les champs silencieux ;
Par le nuage étaient voilés les cieux :
Je m'avançais vers la pierre grisâtre.
Du haut d'un mont une onde rugissant
S'élançait : sous de larges sycomores,
Dans ce désert d'un calme menaçant,
Roulaient des flots agités et sonores.
Le noir torrent, redoublant de vigueur,
Entrait fougueux dans la forêt obscure
De ces sapins, au port plein de langueur,
Qui, négligés comme dans la douleur,
Laissent tomber leur longue chevelure,
De branche en branche errant à l'aventure.
Se regardant dans un silence affreux,
Des rochers nus s'élevaient, ténébreux ;
Leur front aride et leurs cimes sauvages
Voyaient glisser et fumer les nuages :
Leurs longs sommets, en prisme partagés,
Etaient des eaux et des mousses rongés.
Des liserons, d'humides capillaires,
Couvraient les flancs de ces monts solitaires ;
Plus tristement des lierres encor
Se suspendaient aux rocs inaccessibles ;
Et contrasté, teint de couleurs paisibles,
Le jonc, couvert de ses papillons d'or,
Riait au vent sur des sites terribles.
Mais tout s'efface, et surpris de la nuit,
Couché parmi des bruyères laineuses,
Sur le courant des ondes orageuses
Je vais pencher mon front chargé d'ennui.

François-René de CHATEAUBRIAND (1768-1848) (Recueil : Tableaux de la nature)

23 août 2008

Madame, je vous donne un oiseau pour étrenne


Sonnet

Madame, je vous donne un oiseau pour étrenne
Duquel on ne saurait estimer la valeur ;
S'il vous vient quelque ennui, maladie ou douleur,
Il vous rendra soudain à votre aise et bien saine.

Il n'est mal d'estomac, colique ni migraine
Qu'il ne puisse guérir, mais sur tout il a l'heur
Que contre l'accident de la pâle couleur
Il porte avecque soi la drogue souveraine.

Une dame le vit dans ma main, l'autre jour
Qui me dit que c'était un perroquet d'amour,
Et dès lors m'en offrit bon nombre de monnoie

Des autres perroquets il diffère pourtant :
Car eux fuient la cage, et lui, il l'aime tant
Qu'il n'y est jamais mis qu'il n'en pleure de joie.

Isaac de BENSERADE (1613-1691)

22 août 2008

A mes amis


Rions, chantons, ô mes amis,
Occupons-nous à ne rien faire,
Laissons murmurer le vulgaire,
Le plaisir est toujours permis.
Que notre existence légère
S'évanouisse dans les jeux.
Vivons pour nous, soyons heureux,
N'importe de quelle manière.
Un jour il faudra nous courber
Sous la main du temps qui nous presse ;
Mais jouissons dans la jeunesse,
Et dérobons à la vieillesse
Tout ce qu'on peut lui dérober.

Evariste de PARNY (1753-1814)

21 août 2008

Le silence régnait sur la terre et sur l'onde


Le silence régnait sur la terre et sur l'onde,
L'air devenait serein et l'Olympe vermeil,
Et l'amoureux Zéphir affranchi du sommeil
Ressuscitait les fleurs d'une haleine féconde.

L'Aurore déployait l'or de sa tresse blonde
Et semait de rubis le chemin du Soleil ;
Enfin ce dieu venait au plus grand appareil
Qu'il soit jamais venu pour éclairer le monde,

Quand la jeune Philis au visage riant,
Sortant de son palais plus clair que l'Orient,
Fit voir une lumière et plus vive et plus belle.

Sacré flambeau du jour, n'en soyez point jaloux !
Vous parûtes alors aussi peu devant elle
Que les feux de la nuit avaient fait devant vous.

Claude MALLEVILLE (1596-1647)

20 août 2008

Ah ! que je suis fâché ! maudit soit le réveil


Ah ! que je suis fâché ! maudit soit le réveil
Qui me prive du bien dont j'avais jouissance
Cette nuit en songeant. Las ! depuis ma naissance,
Je n'ai point eu de bien à celui-là pareil.

Il me semblait qu'Amour, ennemi de tout deuil,
Une moisson de fleurs versait en abondance,
Dessus nos corps unis d'une ferme alliance.
Ô songe délectable, ô gracieux sommeil !

Que d'amour, que d'appas, que de douces blandices,
Que de ris, que d'ébats, que de molles délices,
Que de naissantes morts, que de jeux amoureux !

Que de baisers confits en sucre, en ambroisie !
De ces plaisirs, dormant, j'avais l'âme saisie.
Fut-il jamais en songe un amant si heureux !

Isaac HABERT (1560-1615)

19 août 2008

Une douceur splendide et sombre


Une douceur splendide et sombre
Flotte sous le ciel étoilé
On dirait que là-haut, dans l'ombre
Un paradis s'est écroulé.

Et c'est comme l'odeur ardente,
L'odeur fiévreuse dans l'air noir,
D'une chevelure d'amante
Dénouée à travers le soir.

Tout l'espace languit de fièvres.
Du fond des coeurs mystérieux
S'en viennent mourir sur les lèvres
Des mots qui font fermer les yeux.

Et de ma bouche où s'évapore
Le parfum des bonheurs derniers,
Et de mon coeur vibrant encore
S'élèvent de vagues pitiés

Pour tous ceux-là qui, sur la terre,
Par un tel soir tendant les bras,
N'ont point dans leur coeur solitaire
Un nom à sangloter tout bas.

Albert SAMAIN (1858-1900) (Recueil : Le chariot d'or)

18 août 2008

Me voici seul enfin ...


Me voici seul enfin, tel que je devais l'être :
Les jours sont révolus.
Ces dévouements couverts que tu faisais paraître
Ne me surprendront plus.

Le mal que tu m'as fait et ton affreux délire
Et ses pièges maudits,
Depuis longtemps déjà les cordes de la lyre
Me les avaient prédits.

Au vent de ton malheur tu n'es en quelque sorte
Qu'un fétu ballotté ;
Mais j'accuse surtout celui qui se comporte
Contre sa volonté.

Jean MORÉAS (1856-1910) (Recueil : Les Stances)

17 août 2008

Que j'aime ces forêts !...


Que j'aime ces forêts ! que j'y vis doucement !
Qu'en un siècle troublé j'y dors en assurance !
Qu'au déclin de mes ans j'y rêve heureusement !
Et que j'y fais des vers qui plairont à la France !

Depuis que le village est toutes mes amours,
Je remplis mon papier de tant de belles choses,
Qu'on verra les savants après mes derniers jours,
Honorer mon tombeau de larmes et de roses.

Ils diront qu'Apollon m'a souvent visité,
Et que, pour ce désert, les Muses ont quitté
Les fleurs de leur montagne, et l'argent de leur onde.

Ils diront qu'éloigné de la pompe des rois,
Je voulus me cacher sous l'ombrage des bois
Pour montrer mon esprit à tous les yeux du monde.

François MAYNARD (1582-1646)

16 août 2008

Je songe à ce village ...


Je songe à ce village assis au bord des bois,
Aux bois silencieux que novembre dépouille,
Aux studieuses nuits, - et près du feu je vois
Une vieille accroupie et filant sa quenouille.

Toi que j'ai rencontrée à tous les carrefours
Où tu guidais mes pas, mélancolique et tendre,
Lune, je te verrai te mirant dans le cours
D'une belle rivière et qui commence à prendre.

Jean MORÉAS (1856-1910) (Recueil : Les Stances)

15 août 2008

Fleur d'art


Oui - Quel art jaloux dans Ta fine histoire !
Quels bibelots chers ! - Un bout de sonnet,
Un coeur gravé dans ta manière noire,
Des traits de cana à coups de stylet.

Tout fier mon coeur porte à la boutonnière
Que tu lui taillas, un petit bouquet
D'immortelle rouge - Encor ta manière
C'est du sang en fleur. Souvenir coquet.

Allons, pas de pleurs à notre mémoire !
- C'est la mâle-mort de l'amour ici
Foin du myosotis, vieux sachet d'armoire !

Double femme, va !... Qu'un âne te braie !
Si tu n'étais fausse, eh serais-tu vraie ?...
L'amour est un duel : - Bien touché ! Merci.

Tristan CORBIÈRE (1845-1875) (Recueil : Les Amours jaunes)

12 août 2008

Madame, ce matin je vous offre une fleur


Madame, ce matin je vous offre une fleur
Qui du sang de Narcis a pris son origine :
Pour vous y comparer Amour vous la destine,
Et vous vient consacrer son tige et sa couleur.

Vous semblez un Narcis de grâce et de rigueur,
Il avait comme vous l'apparence divine,
De sa vive beauté l'onde fut la ruine,
Et je crains qu'un miroir cause votre malheur !

De moi je suis Écho dolente forestière,
Qui va cherchant partout votre grâce meurtrière
Pour trouver du relâche à ma captivité,

Mais vous voyant toujours plus fière et inhumaine,
Je désire sans plus que je sois la fontaine
Où les dieux puniront votre sévérité.

Siméon-Guillaume de LA ROQUE (1551-1611) (Recueil : Amours de Phyllis)

10 août 2008

L'esté grillant, et le chaud Sirien


L'esté grillant, et le chaud Sirien,
Perçant les flancs de la terre qui bée :
Non ceste Fleur qui m'a l'ame enflambée,
Mesme à l'envy du gaillard Cyprien.

Elle est sa guide en ce val terrien,
Son flair combat l'odoreuse Sabée
Et dans le coeur cest amour m'est tombée
Par qui j'ay tout, et sans qui je n'ay rien.

Pluye, ni vent, ni chaleur, ni froidure,
N'esffaceront son teint, ni sa verdure :
Je l'affranchis du trespas, et du temps.

Mais las ! tandis que sa gloire eternelle
Revit en moy, chetif ! je meurs en elle :
Et fondz ainsi que la nege au Printemps.

Jean de LA GESSEE (1551-1596) (Recueil : La Marguerite)

08 août 2008

Je te donne ces vers...


Je te donne ces vers afin que si mon nom
Aborde heureusement aux époques lointaines,
Et fait rêver un soir les cervelles humaines,
Vaisseau favorisé par un grand aquilon,

Ta mémoire, pareille aux fables incertaines,
Fatigue le lecteur ainsi qu'un tympanon,
Et par un fraternel et mystique chaînon
Reste comme pendue à mes rimes hautaines ;

Etre maudit à qui, de l'abîme profond
Jusqu'au plus haut du ciel, rien, hors moi, ne répond !
- Ô toi qui, comme une ombre à la trace éphémère,

Foules d'un pied léger et d'un regard serein
Les stupides mortels qui t'ont jugée amère,
Statue aux yeux de jais, grand ange au front d'airain !

Charles BAUDELAIRE (1821-1867) (Recueil : Les fleurs du mal)